Paquet de cigarettes neutre: la France protège la santé, la Suisse protège les fabricants de tabac

Avec le paquet neutre, « le législateur a entendu priver ces produits d’une forme de publicité susceptible d’en favoriser la consommation, alors qu’il est établi que cette consommation nuit à la santé des personnes ; il a ainsi poursuivi l’objectif de protection de la santé. »
(Conseil constitutionel français)

Saisi d'un recours par plus de 60 députés et plus de 60 sénateurs, le Conseil constitutionnel français, dans sa décision du 21 janvier, a donné son aval à la mesure emblématique de lutte contre le tabagisme contenue dans la nouvelle loi de modernisation du système de santé de la France : le paquet de cigarettes neutre.

Le paquet neutre était l'une des dispositions contestées par les recourants. Dans leur requête, ces députés et sénateurs reprenaient à leur compte les arguments de l'industrie du tabac. Les neuf membres du Conseil constitutionnel français les ont été balayés du revers de la main. Voici un bref aperçu de leur décision:

Argument des requérants

Le paquet neutre porte atteinte au droit de propriété des fabricants de tabac et constitue une entrave à la liberté d'entreprendre qui n'est pas justifiée par un but de santé publique dès lors que l'efficacité de cette mesure n'est pas démontrée.

Réponse du Conseil constitutionnel

  • Considérant que la mesure n'interdit pas que le paquet neutre comporte l’inscription de la marque, et que cette dernière demeure protégée  contre l’usage ou le détournement par des tiers, le Conseil constitutionnel conclue que, « les dispositions contestées n’instituent pas une privation de propriété. »

  • Le Conseil constitutionnel constate qu'avec le paquet de cigarettes neutre, « le législateur a entendu priver ces produits d’une forme de publicité susceptible d’en favoriser la consommation, alors qu’il est établi que cette consommation nuit à la santé des personnes; qu’il a ainsi poursuivi l’objectif de protection de la santé ».

  • Il observe aussi que « les dispositions contestées n’interdisent ni la production, ni la distribution, ni la vente du tabac ou des produits du tabac » et en conclut donc « qu’il n’en résulte aucune atteinte manifestement disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre ».

  • En conclusion, la mesure est déclarée conforme à la Constitution.

[Mise en évidence des textes par OxyRomandie]

Notons que les juges du Conseil constitutionnel français sont arrivés aux mêmes conclusions que les autres cours suprêmes qui se sont déjà penchées sur la constitutionnalité du paquet neutre, notamment en Australie et, dans un cas très similaire, en Uruguay.

Le point de vue d'un expert en droit des marques

Dans une excellente analyse juridique, Jonathan Griffiths, de la faculté de droit de l'Université Queen Mary à Londres a examiné la validité des arguments des cigarettiers. Il arrive à la conclusion que ces derniers mènent une bataille quasi désespérée, mais qui perdure grâce au soutien du lobby de la défense des marques :

L'idée qu'une mesure de santé publique obtenant un soutien quasi unanime ne soit pas mise en œuvre simplement parce qu'elle restreint le droit fondamental des compagnies de tabac de mettre leur logo sur les emballages des cigarettes est instinctivement répugnante. Le fait que cette idée ait circulé et ait été reprise aussi largement malgré ses multiples faiblesses atteste de la puissance controversée de lobbying de cette industrie.

Cela est aussi révélateur de quelque chose de significatif sur la « communauté de la propriété intellectuelle » (...) Dans la culture de cette communauté, il apparaît que la propriété intellectuelle est de plus en plus considérée comme inviolable. (...) Les suggestions selon lesquelles des options politiques particulières ne pourraient pas être prises parce qu'elles contreviennent aux droit fondamental de la propriété intellectuelle (...) sont devenues relativement courantes. (...) En y regardant de près, elles sont souvent exagérées et même carrément trompeuses. Néanmoins, il y a un risque réel qu'elles aient un impact injustifié sur la formulation des politiques.

[Traduction par OxyRomandie]

Le Conseil fédéral suisse semble totalement inféodé
aux trois multinationales du tabac qui sont solidement
implantées dans notre pays

Le Conseil fédéral joue pour l'industrie du tabac contre la santé de sa population

Hélas, alors que la France semble avoir évité ce risque, le Conseil fédéral suisse est tombé complètement dans le panneau. Nous en voulons pour preuve sa réponse à la question posée par la parlementaire Rebecca Ruiz (question du 3 décembre 2014), qui lui demandait si, du point de vue de la santé publique, il reconnaissait « le paquet neutre comme une mesure participant à influencer le comportement des fumeurs et des non-fumeurs en vue d'une diminution de la consommation de tabac ». Dans ses explications, le Conseil fédéral ne se donne même pas la peine de masquer sa soumission à l'industrie du tabac : tout en admettant que le paquet neutre est une mesure de prévention efficace, il déclare sans ambages donner la prépondérance aux intérêts économiques de cette industrie. Nous citons sa réponse dans son intégralité :

Le Conseil fédéral est d'avis que l'introduction d'un paquet dit neutre est une mesure qui pourrait avoir un impact positif en termes de santé publique. Il n'a pas proposé cette mesure dans l'avant-projet de loi sur les produits du tabac dont la consultation s'est terminée le 12 septembre 2014. Cette décision résulte d'une pesée d'intérêts. Le Conseil fédéral estime que l'introduction d'un paquet neutre représenterait une entrave importante à la liberté économique dont jouissent les fabricants et qu'il y a d'autres mesures préventives qui devraient être prises avant de recourir au paquet dit neutre.

Certes, il y a d'autres mesures préventives, notamment celles préconisées par la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), en particulier l'interdiction globale de la publicité pour le tabac, de la promotion et du parrainage (directives sur article 13), et les fortes augmentations des taxes sur le tabac (directives sur l'article 6). Mesures que, justement, le Conseil fédéral refuse de prendre! Et il feint en plus d'ignorer que le traité de l'OMS, qu'il s'engage pourtant à ratifier, prescrit ces mesures non pas comme des alternatives exclusives, mais comme des mesures dont l'efficacité est renforcée quand elles sont prises ensemble !

Références

 


2016.01.23/pad