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« Pour une Suisse romande où il fait bon respirer »


A la demande de l'OMS, les chercheurs Chung-Yol Lee et Stan Glantz, de l'Ecole de Médecine de l'Université de Californie, ont étudié la façon dont la politique suisse de la santé publique a été manipulée et contrôlée par l'industrie du tabac au cours de ces dernières décennies. Leur rapport, publié en janvier 2001, est édifiant et accablant pour les cigarettiers et la Suisse.

Que de tels faits soient d'abord révélés en dehors de notre pays, et sur une commande de l'Organisation mondiale de la Santé, en dit déjà long sur l'incapacité de nos autorités face à ce grave problème de santé publique, incapacité qui est l'aboutissement de la stratégie victorieuse du lobby du tabac. Les non-fumeurs ont été les principaux perdants de cette situation, car l'offensive de manipulation de l'opinion publique orchestrée par les cigarettiers s'est concentrée sur la question du tabagisme passif. Sur ce point, le verdict du rapport de l'Université de Californie est on ne peut plus clair:

For all practical purposes, there are no effective protections for nonsmokers from the toxic chemicals in second tobacco smoke in Switzerland. [Quels que soient les aspects pratiques considérés, il n'y a pas en Suisse de protection réelle des non-fumeurs contre les composants chimiques toxiques contenus dans la fumée ambiante du tabac.](p. 14)

Les cigarettiers ont artificiellement entretenu la «controverse» sur les méfaits rééls du tabagisme passif, en jetant le discrédit sur les études scientifiques qui avaient mis en évidence ces méfaits. La Suisse est tombée dans le piège tendu par les cigarettiers; une partie de sa classe politique a été séduite au point de former un groupe électoral puissant à la solde de l'industrie du tabac. Le résultat en est que la Suisse a perdu plus de dix ans dans la lutte contre le tabagisme. A raison de près de 10'000 décès par an liés au tabagisme actif et passif, cela représente des centaines de milliers d'années-vie détruites et une quantité encore plus grande de souffrances qui auraient pû être évitées.

On peut toujours espérer qu'un jour viendra où les responsabilités de cette tragédie devront être assumées et où les principaux instigateurs seront appelés à rendre des comptes.

Nous reproduisons ci-contre le résumé en français. (Texte complet en anglais)

Comment l'industrie du tabac a réussi à manipuler la politique du tabac en Suisse

Rapport de l'Ecole de Médecine de l'Université de Californie, préparé par Chung-Yol Lee et Stanton A. Glantz à la demande de l'OMS

Résumé

L'industrie du tabac et son influence sur la politique du tabac en Suisse couronnée de succès

La consommation de cigarettes chez les personnes âgées de 15 ans ou plus en Suisse a atteint son apogée au début des années 70 avec 3,700 cigarettes par personne et par an, puis a décliné jusqu'à 2800 cigarettes par personne et par an en 1994. Pendant les années 80 la proportion de fumeurs diminua de 37% en 1980 jusqu'à 31% en 1992, mais pendant les années 90 cette proportion augmenta jusqu'à atteindre 33% en 1997. Les femmes, surtout les jeunes, les enfants et les adolescents, ont vu leur prevalence de tabagisme augmenter continuellement, malgré des efforts de prévention visant particulièrement les enfants et les adolescents.

Chaque année, plus de 10,000 personnes meurent à cause du tabac en Suisse, à peu près un sixième de la mortalité annuelle de la Suisse, rendant le tabagisme la plus importante cause prévantable de décès dans ce pays. Ce chiffre est plus de 20 fois plus important que le nombre de morts causées par les drogues illégales.

La taxe sur le tabac en Suisse est la plus basse de l'Europe de l'ouest.

Les lois gouvernant les produits de tabac, leur marketing et leur vente, sont faibles et ont peu d'effets pratiques sur l'industrie du tabac.

Il n'y a aucune véritable protection des non fumeurs contre les composantes chimiques toxiques de la fumée de cigarette, que ce soit dans les endroits publics ou sur les lieux de travail. Un sondage commissionné par Philip Morris International sur les expériences et les attitudes à propos du tabac et du tabagisme dans dix pays en 1989 démontra que les Suisses étaient conscients des effets du tabagisme passif sur la santé, mais que seulement une minorité favorisait le contrôle gouvernemental du tabac dans les restaurants et sur les lieux de travail.

Un premier programme compréhensif de prévention du tabagisme, de 1996 à 1999, émit par l'Office Fédéral Suisse de la Santé Publique, a été caractérisé par un manque de financement adéquat, d'interventions précises, de coopération entre les associations de lutte contre le tabagisme, et de gestion. De plus, le programme a ignoré le rôle que joue l'industrie du tabac.

Grâce aux événements récents aux Etats-Unis et à l'attaque montée par l'OMS contre l'industrie du tabac, le programme quinquennal proposé pour 2001-2005 identifie l'industrie du tabac comme étant un obstacle majeur dans la lutte contre le tabagisme.

Avant la fusion de British American Tobacco (BAT) avec Burrus-Rothmans en 1999, le plus important producteur de produits de tabac en Suisse était Philip Morris (PM), avec près de 50% du marché (et près de 25% pour Marlboro uniquement). Depuis cette fusion, le marché du tabac est dominé par PM et BAT, qui ont chacune entre 45% et 50% du marché.

Comme c'était le cas aux Etats-Unis dans le début des années 60, les chercheurs des laboratoires de l'industrie du tabac (dans ce cas, FTR (Fabriques de Tabac Réunies)/Philip Morris) ont accepté et discuté des effets nocifs du tabagisme sur la santé dans les communications internes des compagnies. A ce moment-là, ces chercheurs ont honnêtement essayé de trouver des moyens de réduire les effets cancérigenes des cigarettes en éliminant les éléments cancérigènes.

Contrairement à ses opinions exprimées en privé, la position publique de l'industrie du tabac en Suisse était qu'il existait encore une polémique à propos de la question de savoir si le tabagisme est nuisible à la santé.

La "polémique" fut entretenue grâce à de nombreuses conférences de presse et réunions scientifiques avec des chercheurs qui étaient soutenus par l'industrie mais qui déclaraient leur support public de la position de l'industrie sans parler de leurs liaisons avec l'industrie. Les relations entre l'industrie et ces "consultants" ou "témoins" étaient entretenues à travers des paiements directs et à travers le financement de leurs travaux de recherche.

A la fin des années 80 l'industrie du tabac avait identifié la perte d'acceptabilité sociale du tabagisme en Europe comme étant l'une des plus importantes menaces pour sa viabilité. Cette prise de conscience mena au développement d'une stratégie compréhensive visant la question du tabagisme passif. "La courtoisie et la tolérance" et les arguments économiques furent utilisés afin de détourner l'attention du public et des figures politiques des questions de santé. Ces stratégies furent souvent créées en consultation avec les cadres d'autres filiales de Philip Morris et du siège de Philip Morris International à New York. Bien au courant de leur manque de crédibilité dans le public, les compagnie de tabac accordaient des interviews aux journalistes mais les mettaient en garde de ne pas mentionner le nom de la compagnie de tabac dans leur article.

L'industrie du tabac attaqua en masse les documents officiels tels que "La mortalité due au tabac en Suisse" publié par l'Office Fédéral de la Santé Publique, le rapport sur les effets respiratoires du tabagisme passif publié par l'Agence de la Protection de l'Environment des Etats-Unis, ainsi que des articles scientifiques comme l'article publié dans American Journal of Respiratory and Critical Care Medecine sur le tabagisme passif et les symptômes respiratoires en Suisse (étude SAPALDIA) écrit par un groupe de chercheurs Suisses. Les compagnies de tabac employèrent des "consultants" et des figures politiques qui avaient des liens avec l'industrie, et qui utilisèrent les arguments standards de l'industrie.

L'un des consultants les plus actifs était Peter Atteslander, un citoyen Suisse et un professeur à l'Université d'Augsburg en Allemagne. Il écrit des livres blancs pour l'industrie du tabac et fit un compte rendu des conférences de toutes les parties du monde..Atteslander semblait être essentiellement le seul membre du "Groupe de travail pour la recherche de santé", basé en Suisse, et qui publiait ses œuvres sans révéler ses liens avec l'industrie du tabac.

Pour combattre les limites sur le tabagisme dans les restaurants et les hôtels, les compagnies de tabac développèrent leurs relations avec l'association hôtelière International HoReCa. Le secrétaire général d'International HoReCa à ce moment-là était le Dr. Xavier Frei, le président de la SCRA (probablement l'Association des Cafés et Restaurants Suisses). L'association hôtelière fit recours aux ressources de l'industrie du tabac et à maintes reprises publia les opinions de l'industrie dans les bulletins de l'industrie hôtelière, sans que les membres de l'International HoReCa ou de la SCRA ne soient avertis des liens étroits qui existaient entre leur organisme et l'industrie du tabac.

Le "programme d'accommodation," un programme bien connu développé par l'industrie du tabac aux Etats-Unis pour empêcher que ne soient établies des lois contre le tabagisme dans les restaurants et lieux de travail, fut employé en Suisse. Le fait que même le logo était le même que celui utilisé aux Etats-Unis est un autre exemple de la manière dont les compagnies de tabac recyclent leurs stratégies et leurs tactiques dans le monde entier.

La stratégie qui consiste à détourner l'attention du public du problème du tabagisme passif en faisant appel au problème de la qualité de l'air intérieur en général était (et demeure) une des stratégies majeures employées par l'industrie du tabac pour diluer le problème du tabagisme passif avec ceux d'autres produits polluants et de la ventilation des bâtiments. A ces fins, une compagnie de contrôle de la qualité de l'air intérieur ayant des liens étroits avec l'industrie du tabac, ACVA Atlantic Inc., USA, plus tard renommée Healthy Buildings International (HBI), receuillit une large quantité de données pour l'industrie du tabac afin de l'aider à minimiser le rôle de la fumée de tabac comme polluant de l'air intérieur. Des employés de HBI furent envoyés en Suisse pour récolter des données sur les immeubles suisses, et ces informations furent utilisées dans les bulletins de HoReCa pour soutenir le programme d'accommodation et décourager les réglementations contre le tabagisme. HBI a depuis été discréditée aux Etats-Unis en tant qu'autorité impartiale sur le sujet de contrôle de la qualité de l'air intérieur.

Les compagnies de tabac essayèrent d'influencer la réglementation sur le tabagisme dans les avions à travers le financement partiel des congrès mondiaux de l'IFAA (International Flight Attendants' Association). Cette influence fut établie en favorisant de bonnes relations avec le président de l'association, une stratégie souvent utilisée par l'industrie du tabac pour influencer les associations. Quand, suivant l'établissements des vols non fumeurs aux Etats-Unis et dans d'autres pays, Swissair imposa enfin l'interdiction de fumer sur ses vols, elle fut sévèrement critiquée dans les journaux par le "Club des Fumeurs" Suisse, et plus tard par le "Club des Amis du Tabac" Suisse, dont le président et fondateur est un ancien cadre de relations publiques pour l'industrie du tabac.

L'Association Suisse des Fabricants de Cigarettes influença la réglementation sur le tabagisme dans les trains avec succès grâce à des lettres envoyées aux éditeurs de quotidiens et des requêtes directes auprès des autorités cantonales et du directeur du réseau ferroviaire national. Deux référendums sur l'interdiction de publicité pour le tabac et l'alcool en 1979 et 1993 furent rejetés par les électeurs Suisses, malgré les sondages pré-vote positifs, à cause de l'alliance de l'industrie du tabac avec les agences de publicité et la presse écrite. Les compagnies de tabac réussirent à dissimuler leur rôle dans cette campagne afin d'éviter toute publicité négative, tout en finançant la campagne contre l'interdiction de publicité et en lui fournissant des arguments développés par des sociétés de relations publiques et des avocats à travers le centre international d'information sur le tabac, INFOTAB. Les compagnies de tabac et leurs alliés employèrent des arguments économiques et politiques, tels que la menace d'effets négatifs sur l'emploi, les revenus, les impôts, et le droit des individus et des entreprises de combattre les interdictions de publicité.

Les liens étroits entre l'industrie du tabac et les figures politiques et officielles furent développés et maintenus à travers de nombreuses réunions avec les dirigeants des partis politiques et de nombreux briefings du "comité électoral pro-tabac" au Parlement. Ce comité électoral permit à l'industrie du tabac de rester bien informée au sujet de l'agenda politique et de facilement influencer le processus politique.

Bien que la Suisse ait certains des programmes de santé publique les plus progressistes et innovateurs, la plupart des partisans de la santé publique sous-estiment le pouvoir et la force motrice de l'industrie du tabac et qu'une minorité parmi eux a confronté l'industrie directement.


(Texte complet en anglais)

(Dossier 01-002 - 2001-01-15)



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