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« Pour une Suisse romande où il fait bon respirer »


« Une employée de BAT Suisse qui réfléchit à ces questions doit en ressentir un certain malaise. Son activité professionnelle est totalement sans équivalent : chaque année, 96 années de vie sont sacrifiées pour chacun des postes dans l'entreprise, y compris le sien. (...) Si elle ne veut pas dysfonctionner, BAT se doit de rassurer ses employés et de donner des réponses qui calment les consciences. »

Le Rapport Social 2007/2008 de British American Tobacco : pathétique!

Genève, le 6 juin 2008 - La filiale suisse de British American Tobacco (BAT) vient de publier en fanfare son Rapport Social 2007/2008. BAT a distribué la version imprimée de ce document à un large éventail de décideurs, de politiciens et de leaders d'opinion en Suisse. Le rapport se présente sous la forme d'une brochure au graphisme sophistiqué et recherché, luxueusement imprimée en quadrichromie sur papier de qualité. Des efforts importants ont de toute évidence été fournis pour en soigner la forme. Ce bel emballage, destiné à flatter le sens de l'esthétique du lecteur, n'arrive toutefois pas à occulter complètement l'indigence de son contenu.

En effet, la mouture 2007/2008 du Rapport Social de BAT est très nettement en retrait par rapport à la précédente édition, celle de 2005/2006. Il faut dire qu'alors, BAT affichait ses ambitions d'établir un vaste « dialogue avec toutes les parties prenantes », dialogue qui était « au coeur du Rapport Social ». BAT a nettement révisé ses plans à la baisse, et les fameux dialogues sociaux se sont rétrécis comme peau de chagrin, pour se résumer à des discussions internes ou avec des partenaires commerciaux, en évitant soigneusement les questions qui fâchent.

L'incapacité de BAT à susciter la confiance

Le premier Rapport Social avait déjà démontré l'inaptitude de BAT à établir un véritable dialogue avec des intervenants autres que ceux qui ont un intérêt dans le business du tabac. Sur 183 personnes invitées, seulement 35 avaient répondu à l'appel pour la première séance de dialogue en mai 2005, nombre qui s'était encore réduit (à 32) lors de la deuxième séance en septembre de la même année. Ces séances étant réparties sur trois sites (Boncourt, Lausanne et Zürich), cela faisait une moyenne de 10 participants par séance. On peut supposer que le site de Boncourt, commune de 1'300 habitants, dont toute l'économie dépend de l'usine BAT (470 employés), a fait le plein de ses invités, ce qui ne laisse plus beaucoup de monde pour les deux autres sites, où les séances ont dû être tristounettes.

D'autre part, BAT n'a pas réussi à recruter des interlocuteurs potentiellement critiques pour ses séances de dialogue : des 16 représentants de médias invités, seul un s'est donné la peine d'y assister; aucun membre des milieux de la prévention n'a répondu à l'invitation; des 33 invités du groupe « santé et environnement », seuls 4 ont participé à la première séance et 3 à la deuxième; finalement, les 17 associations de jeunesse invitées ont largement refusé de participer (un seul invité a répondu à l'appel). En fait, les « parties prenantes » comprenaient pour l'essentiel (70%) les partenaires commerciaux de BAT et les représentants des milieux économiques, suivi des politiciens (15%).

Cette situation démontre que BAT est incapable de susciter la confiance des gens externes à son cercle d'influence, qu'elle aimerait pourtant engager dans son processus de rapport social pour lui donner un minimum de crédibilité. Ces invités ont dans leur grande majorité flairé le piège et ont refusé d'y tomber. En désespoir de cause, BAT s'est résignée à faire appel à son propre personnel pour étoffer la participation à ses séances de dialogue, les transformant en discussions internes, et renforçant l'aspect « vase clos » de l'exercice. Le document qui en résulte est imprégné de la culture de l'entreprise; il présente ses thèses et sa propagande sur divers sujets, ses objectifs de marketing et de gestion, comme des « attentes » de parties prenantes et des réponses à ces attentes. En bref, le Rapport Social 2007/2008 de BAT n'est autre qu'un pamphlet de propagande déguisé, les parties prenantes étant réduites au rôle de figurants d'une mascarade destinée à leurrer le lecteur sur la véritable nature de l'exercice.

Le vrai environnement de BAT

L'un des éléments les plus révélateurs de ce Rapport Social est constitué par une carte de la Suisse, sur une double page, intitulée « British American Tobacco et son environnement » :



Cette carte montre parfaitement que la multinationale ne voit son environnement qu’à travers son business et tout ce qui peut contribuer à ses profits, et qu'elle fait preuve d'une cécité totale au vrai environnement social dans lequel s’effectue son activité, qui pourrait être illustré par la carte suivante :



Face aux formidables enjeux de santé publique dont la carte ci-dessus donne une idée, il serait légitime (mais probablement naïf) d'attendre que, dans un rapport social, BAT prenne au moins conscience de sa part de responsabilité. Non, BAT botte en touche et détourne l'attention sur des questions annexes, totalement insignifiantes au vu de la gravité du problème. Ainsi, Chris Burell, directeur général de BAT Switzerland déclare: « Il était, pour nous, clair dès le début du processus que c’était sur nos actions et non sur nos paroles que nous serions jugés. (...) Cependant, nous avons été bien au-delà de nos engagements sur de nombreux points. Je me réfère en particulier à notre initiative en matière de mégots de cigarettes et à notre partenariat avec Caritas Vaud. » Difficile d'être plus à côté de la plaque. On distribue des petites boîtes métalliques, cendriers de poche qui servent en passant de support publicitaire, on fait un petit jogging avec des gens de Caritas Vaud, et tout d'un coup, on acquière une nouvelle virginité morale - oubliés les 8'800 adolescents que les produits de BAT rendent accros à la cigarette chaque année, passées aux oubliettes les 96 années de vie perdues en Suisse pour chaque employé de BAT. Clairement, la conscience sociale chez BAT n'a pas même l'épaisseur d'une feuille de cigarette!

Fumée passive : BAT affiche son irresponsabilité

L'euphémisme fleurit au détour des paragraphes. Ainsi, pour ce qui concerne les dangers de l'exposition à la fumée passive, nulle mention, même si ces dangers sont entérinés par un consensus scientifique mondial. Non, pour BAT, nous restons simplement « dérangés par l'odeur de cigarette ». On s'attendrait pourtant d'une entreprise qui se veut socialement responsable qu'elle informe clairement le public sur la nocivité de la fumée produite par la consommation de ses produits, et sur la nécessité de protéger les gens. Rien de tel dans le rapport de BAT. Au contraire, la solution préconisée consiste en la diffusion de sa « Charte de Courtoisie », qui reprend l'ancienne campagne « The Courtesy of Choice » lancée par Philip Morris dans les années 90, et dont l'inefficacité est établie de longue date et reconnue de tous. (Cf. MYTHE: Qu'en est-il du choix respectueux sur le site de l'OMS et Le programmes de courtoisie de l'industrie du tabac de la Coalition québecoise pour le contrôle du tabac)

La langue de bois

Ce rapport est aussi caractérisé par le recours à la langue de bois. L'exemple suivant (p. 45), qui ne brille pas par sa clarté et sa précision, illustre notre propos :


Édifiant, vous en conviendrez.

Dans le registre « langue de bois », le « rapport indépendant » de PricewaterhouseCoopers (pages 12-13) est aussi un morceau de choix. PricewaterhouseCoopers déclare avoir procédé à un examen « succinct » du rapport social. Un examen sommaire d'un rapport lui-même minimaliste et qui, selon la société d'audit, manque de précision, on voit ce que cela peut donner. Il est d'ailleurs difficile d'accorder beaucoup de crédit à l'analyse des auditeurs de PricewaterhouseCoopers quand ceux-ci déclarent que le Rapport Social « présente un compte-rendu impartial et adéquat de la performance sociale de BAT Switzerland ». De qui se moque-t-on? Un rapport écrit et édité par BAT, une compagnie de tabac qui juge sa propre responsabilité sociale dans un domaine extraordinairement sensible, ne peut tout simplement pas être impartial, à moins de vider ce mot de son sens (ce qui est le propre de la langue de bois). Dans le débat sur le tabagisme, grave problème de santé publique aux conséquences sociales multiples, BAT est une partie en cause - tout ce qu'elle dit sur ce sujet exprime son point de vue, et est donc a fortiori partial. La preuve étant que la présente critique exprime un tout autre point de vue sur la question. L'« impartialité » de BAT en la matière ressemble fort à celle de l'administration Bush lorsqu'elle rend compte de son « succès » dans la guerre en Irak.

Soutien aux organisations caritatives : attention, blanchiment moral !

Le Rapport Social de BAT met l'accent sur l'engagement de l'entreprise auprès d'organisations caritatives. Cet accent est un peu trop appuyé si l'on considère la maigreur des ressources financières mises en oeuvre par le cigarettier. Une aide de 10'000 francs à Caritas Vaud (des clopinettes : moins de 0,5% du budget de cette association) a donné lieu à une exploitation médiatique extraordinaire, avec le prix Humagora à la clé, décerné par la fondation Philias. La même fondation, soit dit en passant, que BAT rétribue généreusement pour ses bons et loyaux services dans l'établissement de son rapport social : la notion de conflit d'intérêts ne semble pas être une préoccupation éthique prioritaire de Philias. (A propos de Philias, voir notre note sur la réunion du 8 avril 2005 entre OxyRomandie et la fondation Philias) Le retour sur investissement de cette opération de blanchiment moral a été immense pour BAT en termes de relations publiques.

Plutôt que de donner de l'argent aux organisations caritatives, BAT voudrait que ses collaborateurs s'engagent personnellement, pendant leurs heures de travail, dans ces organisations. Autrement dit, elle voudrait les inflitrer. Cette stratégie de BAT illustre que les compagnies de tabac répandent leur influence dans la société comme un cancer, avec des métastases se développpant partout où elles rencontrent un milieu favorable. Il est triste de constater que Caritas Vaud - une organisation dont le but premier est de lutter contre la pauvreté - offre ce milieu favorable à BAT. Les représentants de Caritas Vaud doivent pourtant savoir que les activités de cette compagnie multinationale contribuent significativement à la paupérisation dans le monde, et en particulier dans les pays les plus vulnérables. (Cf. Deux rapports de l'OMS : Le tabagisme aggrave la pauvreté des individus et des familles et Le tabagisme aggrave la pauvreté des pays)

Quelle est l'utilité de ce Rapport Social pour BAT?

L'image de la société BAT n'est pas très bonne dans le monde. Il n'y a pas si longtemps (en août 2006), un tribunal fédéral américain reconnaissait BAT coupable, avec d'autres compagnies de tabac, d'activités s'apparentant au crime organisé - en d'autres termes d'activités mafieuses. Pendant près d'un demi siècle, et jusqu'à très récemment, la compagnie a menti au sujet de la nocivité de son produit, niant qu'il cause le cancer et la dépendance. Aujourd'hui encore sa position est très ambiguë sur ce sujet - elle se contente de citer les conclusions des autorités de santé publique, tout en prenant ses distances avec elles. La filiale canadienne de BAT a été il y a peu mise en cause dans une vaste opération de contrebande de cigarettes. BAT a été accusée (The Guardian du 17 octobre 2005) d'avoir une usine secrète en Corée du Nord, l'un des pays où la situation des droits humains est la pire qu'il soit au monde. On se souvient aussi de la joint venture entre BAT et le régime militaire répressif de Birmanie pour la construction d'une usine dans ce pays (Cf. BAT: In Business with Burma's Generals). La publication des documents internes de BAT (Cf. British American Tobacco Documents Archive) a révélé l'étendue de la tromperie - alors qu'elle était la première à découvrir le caractère addictif de la nicotine, la compagnie a non seulement dissimulé sa découverte, mais elle a systématiquement nié publiquement l'addiction causée par son produit. D'autre part, il est difficile d'être bien vu quand vous vendez un produit qui tue un consommateur régulier sur deux, et qui est responsable chaque année de la mort de plus de 800'000 personnes dans le monde, sachant que votre but est d'en vendre encore plus, de conquérir de nouveaux marchés et, donc, de faire de nouvelles victimes. Il y a dans l'activité des cigarettiers quelque chose qui contredit de façon inhérente les intérêts de la société.

Face à ce dilemme, BAT, comme les autres compagnies de tabac, ressent le besoin impératif de se faire mieux accepter et d'améliorer son image. Elle ne se fait guère d'illusions sur sa capacité de convaincre les partisans de la santé publique, ni ceux qui luttent contre le fléau du tabagisme dans le monde, car ils connaissent bien les méfaits du tabac et les agissements des cigarettiers, et savent que responsabilité sociale et industrie du tabac sont irréconciliables (voir la publication de l'OMS Tobacco industry and corporate responsibility... an inherent contradiction). A qui donc est adressé le Rapport Social de BAT?

Ce rapport est en fait destiné à plusieurs audiences, à divers titres. Il y a tout d'abord les investisseurs, qu'il s'agit de rassurer. Pour eux, ce Rapport Social a le mérite d'exister. Il peut constituer une réponse pour ceux qui s'inquiètent des conséquences de la mauvaise réputation de BAT sur son cours boursier. Il peut aussi soulager la conscience des actionnaires qui auraient des hésitations sur le plan moral à placer leur argent dans une telle entreprise. Finalement, il peut servir d'argument pour ne pas exclure BAT des portefeuilles d'investissements responsables.

Il y a aussi les politiciens et autres décideurs, personnes à l'agenda surchargé, qui n'auront certainement pas le temps de lire le rapport, et jugeront son contenu sur sa présentation - la forme très soignée du rapport garantit qu'il laissera dans leur esprit une bonne impression - bonne impression qui peut ressurgir au moment opportun, par exemple lors du vote d'une loi au parlement.

Attention - Ce travail peut nuire gravement à votre conscience

Finalement, et c'est là peut-être le plus important, il y a les employés de BAT, qui exercent leur métier dans un domaine d'activité « controversé » (encore un bel euphémisme). Nous travaillons tous pour gagner notre vie, certes. Mais nous ne travaillons en général pas que pour l'argent. L'activité professionnelle est aussi un élément important de l'épanouissement de l'individu et de son rôle dans la société. Il n'est agréable pour personne de travailler dans une entreprise qui a une mauvaise réputation, même avec un bon salaire. Savoir que l'on travaille pour une industrie dont les produits causent la mort de 5,4 millions de personnes par an dans le monde ne doit pas être un sentiment très confortable, surtout si l'on n'est pas totalement dénué de sens moral. Une employée de BAT Suisse qui réfléchit à ces questions doit en ressentir un certain malaise. Son activité professionnelle est totalement sans équivalent : chaque année, 96 années de vie sont sacrifiées pour chacun des postes dans l'entreprise, y compris le sien. Ce chiffre, et d'autres tous aussi terrifiants (voir carte ci-dessus), ne donnent qu'une idée très partielle du problème. Ils ne peuvent pas exprimer la douleur des familles des victimes décédées du tabac ni rendre compte de la somme de souffrances que subissent les fumeurs vivants atteints dans leur santé et leur dignité. Il est difficile d'imaginer que tous les employés de BAT soient hermétiquement fermés à ces considérations et y restent constamment insensibles. Si elle ne veut pas dysfonctionner, BAT se doit de rassurer ses employés et de donner des réponses qui calment les consciences. Ceci est à notre avis la motivation première du Rapport Social, qui est donc avant tout destiné à une consommation interne. Le choix des illustrations du rapport le prouve d'ailleurs : la plupart des personnes sur les photos sont des employés de BAT. Cette iconographie ne nous montre pas une entreprise tournée vers la société, mais plutôt une entreprise repliée sur elle-même et sur la défensive.

« L'important est que l'on croie que nous sommes responsables »

Adrian Marshall, l'un des principaux artisans du projet de Rapport Social de BAT, a indiqué on ne peut plus clairement comment la compagnie conçoit la notion de responsabilité sociale de l'entreprise. Dans un discours interne prononcé en mars 2000, il déclarait : « Le vrai défi auquel nous sommes confrontés n'est pas de nous comporter de façon responsable, mais que l'on voie et que l'on croie que nous sommes responsables. » Réalisant qu'elle est dans l'impossibilité d'agir sur la réalité de son comportement, qui est quasi mécaniquement d'amasser des profits en vendant de plus en plus d'un produit qui tue, l'entreprise a opté pour une stratégie consistant à modifier la perception que l'on a de ce comportement. Malgré ses efforts, elle n'y arrive pas auprès des observateurs avertis et critiques - les ficelles du Rapport Social sont vraiment trop grosses. Mais elle réussit peut-être auprès de ceux qu'elle désigne maintenant comme ses « parties prenantes », c'est-à-dire toutes les personnes ayant un intérêt dans le business du tabac, et qui ne demandent qu'à croire la propagande de BAT.

Pour en savoir plus : rapports sociaux alternatifs sur BAT


(Dossier 08-005 - 2008-06-06)



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