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« Pour une Suisse romande où il fait bon respirer »


« Les juges notent que les fumoirs enlèvent à la loi sa pertinence, car il n’est pas possible d’exclure que la fumée s'échappant des fumoirs ne contamine l’air des locaux avoisinants. Ils citent des études scientifiques démontrant que l’isolement d’un fumoir n’est pas fiable dans la pratique et que des substances toxiques peuvent se répartir dans les locaux non-fumeurs, même éloignés – et donc que la santé de ceux qui occupent ces locaux non-fumeurs n’est plus protégée. »

Les fumoirs sont incompatibles avec la protection de la santé

Le Tribunal fédéral constitutionnel allemand déclare les fumoirs incompatibles avec l'objectif légitime de protection de la santé, et demande aux législateurs qui avaient concocté une loi interdisant de fumer de type « demie mesure » de revoir leur copie.

Genève, le 6 septembre 2008 - Le Tribunal constitutionnel fédéral allemand a prononcé le 30 juillet 2008 un jugement qui fera sans doute date dans l'histoire de la santé publique de ce pays, et même au delà de ses frontières. Ce jugement représente une avancée considérable pour la lutte antitabac. Ce qui n'est hélas pas toujours bien compris, car l'annonce du jugement a été accompagnée d'une campagne médiatique qui en a complètement déformé le sens et la portée, en présentant la décision des juges de Karlsruhe comme une « victoire pour les fumeurs » allemands. Une lecture attentive du jugement montre que c'est en effet loin d'être le cas, et qu'au contraire il ouvre largement la voie vers des interdictions strictes de fumer dans tous les lieux publics en Allemagne.

Trois recours

Les juges se sont prononcés sur trois recours, deux contestant la loi d’interdiction de fumer dans le Land de Bade-Wurtemberg, l’autre contestant la loi en vigueur à Berlin. A titre d'exemple, la loi contestée de Bade-Wurtember était la suivante:

§ 7

Rauchfreiheit in Gaststätten

    (1) In Gaststätten ist das Rauchen untersagt. Gaststätten im Sinne dieses Gesetzes sind Betriebe, die Getränke oder zubereitete Speisen zum Verzehr an Ort und Stelle verabreichen, wenn der Betrieb jedermann oder bestimmten Personen zugänglich ist und den Vorschriften des Gaststättengesetzes in der Fassung vom 20. November 1998 (BGBl I S. 3419) unterliegt. Satz 1 gilt nicht für Bier-, Wein- und Festzelte sowie die Außengastronomie und die im Reisegewerbe betriebenen Gaststätten.

    (2) Abweichend von Absatz 1 ist das Rauchen in vollständig abgetrennten Nebenräumen zulässig, wenn und soweit diese Räume in deutlich erkennbarer Weise als Raucherräume gekennzeichnet sind und die Belange des Nichtraucherschutzes dadurch nicht beeinträchtigt werden. Satz 1 gilt nicht für Diskotheken.

    (3) Arbeitsschutzrechtliche Bestimmungen bleiben unberührt.

Cette loi instaure dans son premier alinéa le principe de l'interdiction de fumer dans les établissements publics, en définissant ceux-ci. Toutefois, le deuxième alinéa introduit une dérogation importante à ce principe: les établissements publics, à l'exception des discothèques, ont la possibilité d'installer des fumoirs. On verra plus bas que, pour les juges, cette dérogation vide en fait la loi de sa substance.

L’un des recourants est propriétaire d’un établissement de 63 m2 et son recours est motivé par le fait que son espace est trop petit pour y aménager un fumoir. Un autre recourant a un restaurant de 40 places et ne peut pas non plus aménager de fumoir, et dit perdre une partie de sa clientèle de fumeurs qui préfère des établissements plus grands disposant d'espaces pour les fumeurs. Le dernier recourant est propriétaire d'une discothèque et se plaint d'une discrimination par rapport aux restaurants que la loi autorise à aménager des fumoirs. Le thème de la discrimination entre établissements est omniprésent dans les arguments des trois recourants. L'interdiction assortie d'exceptions crée, selon eux, une distorsion de concurrence, privilégiant les grands établissements (pp. 11-19).

Les discothèques: lieux de contagion du tabagisme chez les jeunes

Ayant rendu compte des griefs des recourants, les juges allemands résument la position des autorités des Länder de Bade-Wurtemberg et de Berlin, qui défendent les lois contestées. Il est à noter en particulier que le gouvernement de Bade-Wurtemberg justifie l'interdiction stricte de fumer dans les discothèques par le fait que le va-et-vient constant entre les différentes parties d'une discothèque ne permet pas de garantir l'étanchéité d'un fumoir et d'empêcher que la fumée ne se répande dans tout l'établissement. D'autre part les discothèques sont considérées comme des lieux où le risque d'exposition au tabagisme passif est très élevé, car l'air y est généralement fortement pollué par la fumée. Cette situation est encore aggravée par le fait que les jeunes adultes de 18 à 25 ans subissent dans les discothèques une forte pression du groupe pour qu'ils deviennent fumeurs. Autrement dit, ce sont de hauts lieux de contagion du tabagisme chez les jeunes. (p. 20-21)

Un objectif d'intérêt public

Les juges commencent leur délibération par déclarer que l'interdiction de fumer dans les établissements publics poursuit un objectif d'intérêt public fondé sur des motivations raisonnables qui légitiment une restriction de la liberté d'exercice d'une profession. (p. 36) Ils observent que la nocivité de la fumée passive est clairement établie, et qu’il n’y a pas de seuil au dessous duquel l’exposition à la fumée du tabac cesserait d’être dangereuse. Ils constatent qu'en Allemagne, le tabagisme passif provoque une mortalité importante. (pp. 36-37)

L’interdiction stricte de fumer est « nécessaire »

Au vu de ces considérations, l’interdiction stricte de fumer dans les établissements publics est jugée par le Tribunal constitutionnel à la fois apte et nécessaire pour atteindre le but invoqué, à savoir la protection des personnes contre la fumée passive. (p. 39) Selon les juges, cette interdiction est conforme au principe de proportionnalité, même si elle limite la liberté de comportement des fumeurs, car cette limitation est de nature secondaire par rapport à la nécessité de protéger la santé des personnes, et en particulier des travailleurs, contre le danger du tabagisme passif. (p. 44) Notons en passant que les juges allemands rejoignent le Tribunal Fédéral helvétique, qui, dans son jugement du 28 mars 2007, est arrivé exactement aux mêmes conclusions.

Les fumoirs sont incompatibles avec l'objectif de santé de la loi

Les juges déclarent par contre qu’une interdiction non stricte – avec des exceptions, notamment des fumoirs – n’est pas à même d’atteindre l’objectif de protection sanitaire recherché : les exceptions relativisent largement cet objectif, voire l’annulent partiellement. Les juges notent que les fumoirs enlèvent à la loi sa pertinence, car il n’est pas possible d’exclure que la fumée s'échappant des fumoirs ne contamine l’air des locaux avoisinants. Ils citent des études scientifiques démontrant que l’isolement d’un fumoir n’est pas fiable dans la pratique et que des substances toxiques peuvent se répartir dans les locaux non-fumeurs, même éloignés – et donc que la santé de ceux qui occupent ces locaux non-fumeurs n’est plus protégée. (p. 47)

Dans les deux Länder d’où émanent les recours, le Tribunal constitutionnel observe que les exceptions prévues à l’interdiction (possibilité de fumoirs séparés) diminuent fortement d'intensité l’objectif de protection de la santé de la loi, qui cède en conséquence la place à d’autres considérations. (p. 47)

Discrimination des petits exploitants

Lorsque l’objectif de santé publique n’est plus prépondérant, les considérations économiques reviennent au premier plan. Les juges observent que l’interdiction de fumer assortie d’exceptions place un fardeau économique beaucoup plus lourd sur les petits exploitants, qui n’auraient pas la place ou pas les moyens d’installer un fumoir, que sur les autres. Cela viole le principe fondamental d’égalité de l’article 3. de la constitution fédérale. (p. 54) Et c’est pour cette raison qu'en fin de compte les lois contestées sont rejetées par les juges de Karlsruhe. Par contre, les juges ne remettent pas en cause l'interdiction stricte de fumer, sans fumoirs, qui a été adoptée par le Land de Bavière : la constitutionnalité d'une telle interdiction est au contraire confirmée par leur décision.

En résumé, le Tribunal constitutionnel fédéral allemand adresse le message suivant au législateur : Si votre motivation est de protéger la santé publique, et si vous voulez être crédibles, alors allez jusqu’au bout de votre raisonnement, et interdisez de fumer dans tous les établissements, sans exceptions. C’est la seule mesure capable de protéger efficacement les personnes, et en particulier les travailleurs, contre les dangers du tabagisme passif. Par contre, si la loi que vous adoptez contient des exceptions – tels que les fumoirs – alors elle perd sa pertinence sur le plan de la santé, et à ce moment d’autres considérations entrent en jeu, telle que la notion de discrimination économique, qui vident la loi de tout contenu sanitaire.

Les fumoirs sont illégaux!

Si l’on prend en compte le fait que la protection de la santé des personnes contre l’exposition à la fumée est une obligation légale (ce qui est le cas pour l'Allemagne, ce pays ayant ratifié la Convention-cadre de l'OMS), alors on peut résumer la décision du Tribunal constitutionnel allemand comme suit : les fumoirs sont illégaux !


Référence: Texte intégral du jugement du Tribunal constitutionnel fédéral allemand du 30 juillet 2008


(Dossier 08-006 - 2008-09-06)



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