Pourquoi l'affaire Université de Zürich - Philip Morris est très grave

L’angélisme et la naïveté dont a fait apparemment preuve l'UZH dans cette affaire, la facilité avec laquelle elle s'est jetée dans la gueule du loup, la difficulté de le reconnaître, tout cela n'est pas de très bon augure quant à sa capacité de s'engager dans des partenariats avec l'industrie sans se laisser entraîner dans des affaires similaires.

Genève, le 1er mars 2015 - OxyRomandie a récemment reçu un message de la CUAE (Conférence universitaire des associations d’étudiants - le syndicat et la faitière des associations d'étudiant-e-s de l'Université de Genève) nous demandant « plus d’information  sur le scandale de Zürich concernant le lien entre financement et résultats des recherches sur la cigarette ». Les représentants du CUAE se disent préoccupés de « l’impact des financements privés des grands groupes dans la recherche universitaire. » Le financement par Philip Morris d’études entreprises par l’Université de Zurich tend malheureusement à justifier cette préoccupation des étudiants. Nous reproduisons ci-dessous l’essentiel de notre réponse.

« Dans l'affaire que notre association a soulevée, il y a deux problématiques.

« D'une part, il y a la question liée à un problème sanitaire important, l'épidémie mondiale du tabagisme et les efforts entrepris par les pays les plus engagés pour lutter contre cette épidémie, dont le vecteur est l'industrie du tabac (pour reprendre la terminologie de l'OMS). Ces pays appliquent les mesures préconisées par la Convention-cadre de l'OMS, notamment l'introduction du paquet de cigarettes standardisé (Australie, GB, Irlande, etc.) ; ils font face à une opposition féroce de l’industrie du tabac. Dans un tel contexte, il est déplorable qu'une connivence s'établisse entre une université et une multinationale du tabac pour produire des résultats "scientifiques," portant le sceau de la "recherche académique," qui en fait fournissent à cette industrie des éléments dont elle se sert dans sa stratégie de désinformation et de déni de l'efficacité de la mesure, efficacité pourtant établie à ce jour par plus de 50 études peer-reviewed. En s'alliant avec une compagnie de tabac, l'université se place dans le camp de ceux qui s'opposent à la santé publique ; elle faillit donc à sa mission première, qui est d’être au service de l’intérêt général.

« D’autre part, cela soulève le problème de la conception que l’Université de Zurich a de la collaboration avec l’industrie. Dans notre lettre récente au recteur, nous avons attiré son attention sur les dangers de ce qui est appelé le funding effect, c’est-à-dire le biais dans les résultats que l’on observe avec des études financées par un partenaire privé, qui tendent à pencher du côté favorable aux intérêts commerciaux de ce dernier. Ce qui nous inquiète et nous surprend, c’est que dans la correspondance que nous avons eue avec lui, le recteur de l’UZH ne semble pas être sensible à ce type d’argument.

« Non seulement les résultats des études des professeurs Kaul et Wolf sont biaisés et trompeurs, ce qui est un problème déjà suffisant sérieux en soi. Mais encore, et même si elles étaient 100% correctes, il y a quelque chose de très grave qui s’est produit, et il n’y a pas besoin d’un expert en statistiques pour le voir : la compagnie de tabac Philip Morris a présenté ces résultats aux autorités britanniques de façon extrêmement trompeuse, sans que cela provoque à ce jour la moindre réaction de l’université. Au contraire, Philip Morris a indiqué que les deux professeurs avaient confirmé cette présentation erronée de leurs résultats (et les deux partenaires, l’UZH et Philip Morris, sont liés par un contrat spécifiant qu’aucune partie ne peut communiquer sur le projet sans l’accord de l’autre).

« Pour prendre une analogie parlante, supposons qu’un médicament a des effets tératogènes sur le fœtus lorsqu’il est pris pendant le premier trimestre de la grossesse. Supposons que le fabricant de ce médicament commande à l’UZH une étude sur les effets du médicament pendant le dernier trimestre de la grossesse, qui ne révèle donc aucun effet indésirable. Si ensuite le fabricant présente ce résultat dans sa demande d’autorisation à Swissmedic en disant que l’Université de Zurich a prouvé que le médicament est inoffensif pendant la grossesse, en ajoutant que les chercheurs de l’UZH ont confirmé cette interprétation de leurs résultats, il y aurait là une tromperie évidente, tout le monde en convient.

« Transposé dans le domaine de l’efficacité du paquet neutre, c’est exactement ce qui s’est passé avec les études de l’Université de Zurich et Philip Morris. Il est attristant que les autorités de cette université ne semblent pas s’en rendre compte.

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« L’angélisme et la naïveté dont a fait apparemment preuve l'UZH dans cette affaire, la facilité avec laquelle elle s'est jetée dans la gueule du loup, la difficulté de le reconnaître, tout cela n'est pas de très bon augure quant à sa capacité de s'engager dans des partenariats avec l'industrie sans se laisser entraîner dans des affaires similaires.

« Et l’on peut craindre hélas que l'UZH ne soit pas vraiment une exception parmi les universités suisses dans ce domaine, et qu’au contraire la question  que nous avons soulevée en dénonçant le partenariat entre Philip Morris et l’Université de Zurich ne soit qu’emblématique d’un type particulier de partenariat entre grands groupes industriels et institutions académiques, dans lesquels ces dernières mettent leur savoir, leur compétence et leur prestige au service des intérêts de ces groupes, sans avoir bien examiné l’intérêt public réel de ces partenariats. »

Nous ajouterons ce qui suit en guise de conclusion. Certes, il n'est pas dans les objectifs de notre association de s’engager dans le débat sur la pertinence des partenariats public-privé (PPP), qui est une question importante et délicate. Il nous apparaît cependant qu’un préalable à ce type de partenariat est que l’institution publique prenne toutes les mesures nécessaires pour se protéger contre ses dérives possibles, telles notamment celles qu’illustre parfaitement le contrat entre Philip Morris et l’Université de Zürich. Ce qui implique en particulier pour l'université de bannir tout lien avec l’industrie du tabac, dont les intérêts sont inconciliables avec ceux de la santé publique, et donc avec l’intérêt général.


2015.03.01/pad