Les prévisions fumeuses des opposants à l'initiative « Enfants sans tabac »

Les prévisions alarmistes des opposants à l’initiative sont donc infondées. C'est un écran de fumée pour masquer la réalité de l'industrie du tabac.

Les opposants à l’initiative « Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac » brandissent le spectre de « conséquences économiques importantes » si elle est acceptée le 13 février. Dans leur argumentaire, on peut lire qu’ « il s’agit en Suisse d’environ 11’500 emplois impactés, qui génèrent une valeur de 6,3 milliards de francs ».

Bien que les opposants restent muets sur leur source, il s’avère que ces estimations proviennent d’une étude du cabinet de conseil KPMG datant de 2017 intitulée « L’importance du secteur du tabac dans l’économie suisse ».

Il y a deux problèmes avec ces chiffres : d’une part, ils sont fortement exagérés et, d’autre part, ils sont inappropriés pour évaluer l’effet d’un « oui » à l’initiative sur l’économie.

Des chiffres fortement exagérés

Une note en petits caractère en bas de la première page de l’étude KPMG avertit le lecteur que l’étude de KPMG « a été commanditée par Philip Morris SA, en vue de mettre en évidence l’influence de l’industrie du tabac sur l’économie suisse ». Sans surprise, la méthodologie utilisée par ses auteurs gonfle l’importance du secteur tabac, aussi bien en ce qui concerne l’emploi que la valeur générée. Pour cette dernière, l’étude affirme que « pour chaque franc suisse généré dans le secteur du tabac local, une valeur ajoutée indirecte supplémentaire estimée à CHF 0,83 est créée ». Mis à part le fait que ce chiffre manque de pertinence scientifique, les auteurs omettent l’autre côté de la pièce : chaque franc généré dans le secteur du tabac est un franc dépensé par le consommateur. Si celui-ci se détourne du tabac, ce franc sera dépensé en achetant d’autres produits, qui eux aussi produiront de la valeur ajoutée indirecte, de grandeur comparable, ou même peut-être plus élevée. Si l’on tient compte de cette observation en reprenant les autres chiffres de l’étude, la valeur générée par le secteur du tabac se réduit alors à 4,6 milliards.

La majeure partie de ce montant est constituée par l’impôt sur le tabac et la TVA, qui ne sont pas de la valeur générée, mais un prélèvement fiscal pour le compte de l’État. En fin de compte, la valeur générée par le secteur du tabac est de 2,1 milliards de francs. En vertu des mêmes considérations, le chiffre des emplois générés par le secteur tabac se réduit à 6’200 postes.

Des chiffres biaisés

Et ce n’est pas tout. La note en petits caractère précitée ajoute : « Les problèmes et les dépenses de santé liés à la consommation de tabac … sortent également du champ d’investigation de cette étude. » L’Institut d'économie de la santé de Winterthur a étudié ces dépenses et les a estimées à 5 milliards de francs par année. En résumé, si l’activité économique liée au tabac est très profitable pour les compagnies de tabac, elle coûte très cher à la collectivité, coût que les impôts et taxes sont loin de compenser.

Des chiffres inappropriés

L’autre problème, c’est que les chiffres de l’étude KPMG ne permettent pas d’estimer l’impact de l’initiative, car ils ne font pas la distinction entre les activités internationales des compagnies de tabac présentes en Suisse et celles se rapportant au marché domestique. Pour leurs opérations mondiales, les multinationales du tabac emploient dans leurs sièges suisses plus de 3'000 personnes, pour qui une baisse du marché domestique du tabac serait sans incidence. La manufacture de cigarettes en Suisse est principalement destinée à l’exportation (à plus de 75%). Finalement, la quasi-totalité du tabac cultivé en Suisse est exportée. Tout compte fait, seuls 2'600 emplois, sur les 11'500 annoncés, sont dédiés au marché suisse du tabac.

Impact économique nul

L’impact de l’initiative sur ces 2'600 emplois sera insignifiant, voire nul. Selon les études scientifiques, on peut estimer que l’acceptation de l’initiative induira une baisse de la consommation de produits du tabac d’environ 7%. Proportionnellement, cela veut dire qu’au grand maximum 200 emplois dans le secteur du tabac seraient impactés. De plus, cette baisse de la consommation ne sera pas brutale, mais graduelle dans le temps : l’addiction à la nicotine crée un marché captif, qui réagit avec une grande inertie aux mesures de prévention.

Une telle baisse de la consommation n’entamera pas les revenus des compagnies de tabac, car celles-ci pourront compenser cette baisse par une augmentation des prix. Dans une conférence avec des analystes financiers, le directeur des finances de Philip Morris a déclaré que la « fixation des prix est le principal moteur de la croissance des revenus et de la rentabilité sur les marchés développés, où les volumes de l'industrie continuent de décliner ». La faible fiscalité du tabac en Suisse et le niveau actuel des prix laissent une grande marge de manœuvre pour augmenter le paquet de cigarettes. Une augmentation de 50 centimes suffira aux compagnies de tabac pour annuler l’effet d’une baisse de 7% du volume des ventes tout en augmentant leurs bénéfices.

Prévisions alarmistes infondées

Les prévisions alarmistes des opposants à l’initiative sont donc infondées. C'est un écran de fumée pour masquer la réalité de l'industrie du tabac, dont le modèle commercial s'inspire de la sangsue: il consiste exclusivement à maximiser les profits qu’empochent ses actionnaires (majoritairement étrangers) en reportant sur la collectivité toutes ses externalités négatives, qui excèdent largement ces profits.


2022.03.08/pad